Comment aider un tout-petit à se séparer de ses parents grâce à un lien sécurisant construit avec la ou les personnes qui vont s’occuper de lui ? Focus sur cette étape fondamentale en crèche pour les enfants comme pour les parents, et fondatrice d’une véritable relation triangulaire : La Familiarisation ou adaptation en crèche.
En prenant appui sur les travaux du pédiatre et psychanalyste Donald Wood Winnicott qui n’a cessé d’affirmer qu’un enfant tout seul n’existait pas, les théories sur l’attachement développées par John Bowlby, et bien sûr le regard révolutionnaire de Françoise Dolto sur l’enfant, les professionnels de le Petite Enfance ont depuis longtemps compris qu’il était nécessaire pour réussir une familiarisation de prendre du temps. Prendre le temps de comprendre les besoins de l’enfant, de se présenter, de se connaître et de tisser du lien. Aujourd’hui l’éclairage des neurosciences notamment sur le développement et le fonctionnement du cerveau, nous amène cependant à repenser pratiques et postures professionnelles.
Même si le terme ʺadaptation en crècheʺ est encore employé, nous préférons aujourd’hui la notion de familiarisation qui reprend l’idée de s’accoutumer, de se connaître, plutôt que devoir modifier quelque chose pour s’adapter.
Parler d’adaptation renvoie en effet à un fonctionnement où l’enfant doit s’adapter à un nouvel environnement sans qu’on ne tienne forcément compte de ses besoins ou de son rythme. Cela sous-entend que la solution est dans le ʺtempsʺ, qu’avec du temps, l’enfant finira forcément par s’adapter à ce changement.
Mais on ne s’habitue jamais à se séparer. « [...] les pertes, les ruptures, les cassures, constituent un étayage qui permet de grandir, de progresser et de s'autonomiser. Il est impossible de ne pas perdre. En revanche, chacun va mettre en place des stratégies personnelles pour rendre la séparation et la perte supportables », explique le pédopsychiatre Marcel Rufo dans son ouvrage Détache-moi. Se séparer pour grandir.
Pour s’adapter à cette situation, l’enfant devra consacrer beaucoup de temps et d’efforts en essayant de ʺs’habituerʺ. Toute son énergie sera alors déployée pour faire face à ses émotions dont nous savons qu’il n’est pas encore en capacité de les gérer tout seul. Or un enfant insécure ne pourra ni jouer, ni découvrir, ni expérimenter….
En revanche, le couplage attachement-exploration fonctionne de pair. Si l’enfant se sent en confiance, en sécurité psychique il osera partir explorer et donc faire seul., il s’autorisera à découvrir le monde. La notion de la familiarisation est ainsi en lien avec ce que Françoise Dolto a appelé la « mamaïsation ». Ce sont les parents qui vont « mamaïser » ou « papaïser » afin que leur enfant puisse, à travers leur confiance, se sentir autorisé et en sécurité pour explorer l’espace, pour s’attacher à de nouvelles personnes et vivre pleinement le temps d’accueil. Ce processus peut s’enclencher bien avant le premier rendez-vous physique, dès l’inscription par exemple, à partir du moment où les parents peuvent se projeter et parler du futur accueil à leur bébé. Puis, la personne accueillante deviendra un symbole de sécurité, un représentant temporaire du ou des parents, ce que l’on appelle une figure d’attachement secondaire.
Plutôt que d’apprendre à se séparer, se familiariser pour l’enfant consistera donc à créer de nouveaux liens d’attachement.
Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, spécialiste de l'attachement et de la résilience fait souvent référence à ce concept. La niche sensorielle correspond à la familiarité de l’environnement du bébé, matériel, mais surtout humain et qu’il perçoit par essentiellement ses sens (les odeurs, les sons, le portage …). Une des premières niches sensorielles de l'enfant sont donc ses parents !
Ensuite toutes personnes avec qui l'enfant a un lien d'attachement particulier peuvent devenir une niche sensorielle. Si une niche sensorielle et affective est stable autour de l’enfant, ce dernier va pouvoir aller à la rencontre de l'autre, se familiariser, mais aussi explorer son environnement, jouer, apprendre, grandir... La création d’une niche sensorielle devient donc un incontournable à la sécurisation de l'enfant quelque soit le mode d’accueil.
L’éclairage des neurosciences sur le fonctionnement du cerveau, permet également de comprendre comment le tout petit capte le monde qui l’entoure et de mettre en évidence l’intérêt de la répétition dans son développement cognitif. Nous savons désormais que le cerveau est un super ordinateur et que le bébé est un véritable statisticien !
Si les tout-petits découvrent et dialogue avec le monde au travers de leurs sens, ce qu’ils distinguent de leur environnement n’est pas encore organisé de manière cohérente. C’est grâce à la répétition que le cerveau du bébé va pouvoir ordonner les perceptions de son environnement humain et matériel en faisant des liens. L’enfant enregistrera d’abord toutes les séquences (comportements de l’autre, actions qu’il fera), pour ensuite les identifier, les attendre et les comprendre. Il utilise ainsi des mécanismes bayésiens c’est-à-dire une démarche logique permettant de calculer ou réviser la probabilité d'une hypothèse. Le cerveau des tout-petits traitant en effet les informations de manière logique en tirant des inférences à partir de situations connues. La perception des régularités statistiques conjugué au sens des probabilités du bébé amène d’ailleurs à parler aujourd’hui de théories bayésiennes de l'apprentissage.
Nous savions déjà les enfants friands de rituels (la même chanson, la même histoire, les mêmes mots avant de s’endormir), de stabilité et de repères (de temps, d’espace ou de personnes). Appliqué à la familiarisation, nous comprenons que pour appréhender la nouveauté, le bébé doit expérimenter dans un contexte de régularité, il s’agit donc de proposer une répétition de situations identiques (même lieu, mêmes jouets, même personne, même moment…) à chaque fois que l’enfant sera accueilli, plutôt que vouloir à tout prix passer à une autre étape. Ainsi, peu importe le temps passé, il est presque plus important qu’une séquence identique soit répétée. L’enfant trouvera très vite les situations qui se répètent et donc pourra anticiper la suite. Cette anticipation des évènements permettra alors le développement chez lui d'un véritable sentiment de sécurité.
En plus d’être rassurant, ce cadre fiable et stable permettra aux enfants de comprendre, retenir, anticiper et d’agir par eux-mêmes. Ensuite seulement en s’appuyant sur ce qui est devenu familier pour eux, une variable pourra être introduite pour aller vers la nouveauté.
A la lumière de ces découvertes, il devient donc évident de penser autrement la familiarisation, de faire le choix pédagogique de la répétition et de la sécurisation, l’adaptation en crèche ou familiarisation dite sans séparation s’impose alors en toute logique, comme véritable pratique professionnelle.
Il s’agit bien souvent pour les équipes d’une nouvelle forme d’organisation. Pendant une semaine ou deux, des temps en immersion sont initiés, en totale sécurité affective pour l’enfant en respectant sa niche sensorielle. La finalité n’est plus la séparation progressive, les parents étant invités à partager de nombreux moments au sein de la collectivité, mais bien la création du lien. Le moment venu, l’enfant pourra se séparer sereinement pour profiter pleinement de ses journées en crèche.
Anne Claude Rovera
Directrice Qualité Petite Enfance
Les Petits Chaperons Rouges